Le benchmarking des techniques de guerre de l’information par les acteurs du monde politique, économique, humanitaire et sportif a bougé les lignes de la communication stratégique. En 2006, les arbitres jugeaient disproportionnée la réponse de Zidane (coup de tête) à l’attaque de Materazzi (injure). D’imaginer aujourd’hui que la Squadra Azzurra avait resserré le profiling des Bleus et que le défenseur italien n’avait eu qu’à presser le point sensible au moment M, change la nature du débat chez les spécialistes et élargit le champ d’application de l’infoguerre. Le durcissement de l’affrontement entre candidats à la Maison-Blanche intéresse la communauté de l’IE car la nature (1), la pertinence (2) et les méthodes (3) des attaques informationnelles ici préfigurent leur transposition aux champs de bataille voisins.
1. La nature des coups portés
Si l’on considère uniquement les 45 derniers jours de la campagne présidentielle américaine, on peut relever trois attaques informationnelles parmi les plus saillantes. Le 17 septembre 2008, les deux boîtes électroniques de la colistière de McCain sur Yahoo! sont piratées. Il n’y a pas longtemps, Sarah Palin utilisait ces adresses non sécurisées pour traiter ses affaires privées et celles de l’Alaska, l’Etat dont elle est gouverneur. La capture d’écran d’un e-mail de la candidate a fait le tour du monde. Dès le 4 Octobre, Palin va faire ses courses dans le passé de l’adversaire et revient avec une relique que tout le monde avait oubliée: dans les années 90, Obama était « ami » avec William Ayers, un ancien militant du Weather Underground (groupuscule radical qui perpétra des attentats aux USA pendant la guerre du Vietnam)… Le camp démocrate réplique aussitôt avec une vidéo sur « les liens » de McCain et Charles Keating, un banquier accusé de fraude à la fin des années 80. Dans ce contexte d’infoguerre exacerbée par la déroute de Wall Street, la déclaration peu avisée de McCain sur la prétendue « solidité des fondamentaux économiques américains » a sonné comme une passe à l’adversaire. Une faille pertinente pour enfermer le candidat républicain dans ses propres contradictions.
2. La pertinence des failles retenues
L’intégrité de la correspondance étant garantie par la constitution des Etats-Unis, l’atteinte portée au courrier électronique de Sarah Palin a été unanimement condamnée dans la forme. Mais au fond, l’insouciance et l’imprudence de la candidate républicaine à traiter de dossiers étatiques sensibles en utilisant un canal privé non sécurisé a mis le tout Washington D.C. en émoi; et interrogé « la capacité du ticket McCain-Palin à diriger l’Amérique d’aujourd’hui». En face, l’attaque visant « l’amitié » de Obama avec un ancien terroriste a été reçue par nombre d’analystes comme un coup porté sous la ceinture. Et il a été bien choisi, même si les sondages n’ont pas bougé. Remuez les souvenirs du 11 septembre aux USA et vous avez un cocktail détonnant. Malheureusement pour les républicains, la crise financière qui frappe la grande majorité de l’électorat braque l’attention sur le porte-monnaie du contribuable appelé à la rescousse des « patrons voyous de Wall Street » et leurs amis, dont McCain. Jouant sur la conjoncture, les stratèges démocrates font glisser le curseur de la sécurité internationale vers la sécurité financière, non sans méthode.
3. Les méthodes appliquées
Si au sommet des dispositifs concurrents, McCain et Obama semblent s’en tenir à une espèce de gentlement agreement, ce sont en revanche leurs états-majors qui déploient les opérations d’infoguerre par médias interposés. Les deux appareils de communication traquent le passé de leurs adversaires, détectent les incohérences, relèvent leurs contradictions, tout en visant des symboles susceptibles de décider les électeurs indécis, car c’est eux qui feront basculer le scrutin le 4 novembre 2008. D’après le FBI, les premières traces du piratage de la boîte électronique de Sarah Palin conduisent à David Kernell, 20 ans, étudiant à l’université Tennessee-Knoxville et fils d’un parlementaire démocrate. En visant cette faille, les démocrates demandent insidieusement aux électeurs : « Voulez-vous élire une insouciante à ce point capable de jouer avec la sécurité des Etats-Unis ?» A l’opposé, en rétablissant une vieille connexion entre le sénateur de l’Illinois et l’homme qui fit exploser une bombe au Pentagone en 1972, les républicains veulent «démasquer» Barack Hussein pour, disent-ils, «montrer le vrai visage de Obama», «l’ami des terroristes».
Tout bien considéré, il y a d’un côté les attaques portant sur l’intégrité des Etats-Unis et, de l’autre, la psychose générée par la crise financière. Et là, rien de mieux que la sécurité du porte-monnaie pour décider l’électeur américain. C’est face à cet enjeu que McCain et Obama vont devoir se surpasser en méditant ce proverbe de la stratégie chinoise: » Si tu veux réaliser quelque chose, fais en sorte que tes ennemis le fassent pour toi« .
Guy Gweth
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