Agriculture africaine : un catalyseur de développement à la bourre

[Africa Diligence] C’est un lieu commun d’annoncer que l’Afrique regorge d’atouts majeurs pour le développement de son agriculture. L’amélioration de la fertilité des sols et l’utilisation plus judicieuse des ressources en eau constituent des moyens relativement simples d’accroître les rendements agricoles africains.

L’agriculture apparaît aujourd’hui comme le cheval gagnant sur lequel mise l’Afrique pour assurer son développement, comme en témoignent les nombreux efforts consentis par les États africains depuis plusieurs décennies. Avec une forte proportion de jeunes, la population africaine estimée à 1 308 064 195 en 2019, par World Population Review, et surtout la disponibilité de terres cultivables de qualité, sont des atouts majeurs qui privilégient le continent par rapport aux autres. « L’Afrique est en passe de devenir un continent stratégique pour l’industrie agro-alimentaire mondiale, avec 60% des terres non cultivées au monde », a déclaré dans son discours lors du forum de l’agribusiness à Kinshasa en 2015, Priya Gajraj, ancienne Directrice du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en République démocratique du Congo. Commentant les données du Système régional d’analyse stratégique et de gestion de connaissances en anglais, Regional Strategic Analysis and Knowledge Support System (ReSAKSS) selon lesquelles, le pourcentage de la population africaine active âgée de 15 à 64 ans est de 92,13% en 2017, le statisticien démographe Ndiouga Bâ déclare pour sa part que « c’est une bonne chose que le continent exploite ainsi son dividende démographique pour se développer, surtout en considérant sérieusement et à juste titre, l’option de l’agriculture ».

Dans le souci d’assurer une croissance durable et inclusive solidement axée autour de l’agriculture, des initiatives sont prises à l’échelle continentale pour la développer, la transformer et la promouvoir. Au nombre de ces initiatives, nous avons le Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA) qui, déclaré partie intégrante du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) pour la première fois en 2003 lors du sommet de l’Union Africaine (UA) organisé à Maputo (Mozambique), définit le cadre de la politique de l’Afrique pour la transformation de l’agriculture, la création de richesse, la sécurité alimentaire et la nutrition, la croissance économique et la prospérité.

Pour Inès d’Almeida, chercheure agronome à l’université d’Abomey-Calavi au Bénin, « le caractère élaboré de ce programme montre que l’Afrique est déterminée à changer de paradigme en faisant de l’agriculture, le fer de lance de son développement ». L’obligation d’allouer un minimum de 10% des dépenses publiques dans le secteur agricole et le maintien d’une croissance annuelle du Produit intérieur brut (PIB) agricole à un niveau minimum de 6% du PIB global, sont les objectifs clairs fixés par le PDDAA. La réalisation de ces objectifs relève d’une gageure pour les pays. Tandis que le continent dans sa globalité n’a pas atteint l’objectif des 10% des dépenses publiques à allouer à l’agriculture de 1980 jusqu’en 2017, certains pays pris de façon isolés à l’instar du Burkina Faso, du Niger, du Mali et de l’Éthiopie, ont néanmoins réussi à se démarquer. Sur cette période, ces quatre pays ont respectivement investi en moyenne 20,2%, 15,9%, 10,8% et 10,3% de leur PIB dans l’agriculture, d’après les données ReSAKSS.

La même source nous apprend qu’en ce qui concerne le pourcentage de PIB agricole par rapport au PIB global, le continent a enregistré une performance de 4,15% en 2004 et 4,53% en 2017, la meilleure performance de la période ayant été de 5,97%, réalisée en 2006. Quoiqu’il n’existe aucun moyen de coercition pour contraindre les gouvernements au respect de ces engagements, Debisi Araba, Directeur Afrique au Centre International d’Agriculture Tropicale (CIAT) et membre du Panel Malabo Montpellier (Panel MaMo), ne pense que c’est en ce point que réside le but de l’existence du Panel MaMo.

De fait, « le forum annuel Malabo Montpellier permet au Panel MaMo de montrer aux décideurs politiques à travers des preuves, ce qui marche dans certains pays africains et comment les autres pays peuvent adopter les ingrédients nécessaires pour leur propre transformation agricole. Ce faisant, nous espérons les encourager et les motiver à se hisser en haut du classement, en apprenant des expériences des autres », fait-il savoir, en marge de la conférence de lancement du nouveau rapport du Panel MaMo sur l’état de la mécanisation des chaînes de valeurs agricoles en Afrique, tenue à Dakar ce 16 avril 2019.

En outre, en considérant une période de 15 ans avant et après l’avènement du PDDAA, l’Indice de production agricole est passé d’une moyenne de 75,81 à une moyenne de 114,28, selon la même source précédente. Il est donc d’une évidence triviale que ce programme a insufflé une nouvelle dynamique à la production agricole à travers le continent. Zeyna Cissé, spécialiste des ressources en eau et du changement climatique, salue pour sa part les efforts des gouvernements africains et fait remarquer que « depuis un peu plus de vingt ans, aucun pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) n’a enregistré moins de USD 100 000 000, en termes de valeur ajoutée agricole ». Les données ReSAKSS confirment ses propos en révélant que dans la CEDEAO par exemple, le Nigéria est la terre de tous les superlatifs, en termes de valeur ajoutée agricole. En la matière, il forme avec le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina Faso, le quintuor qui mène la cadence depuis 1998.

 S’inscrivant dans la même dynamique que le PDDAA, la Déclaration de Malabo signée par les chefs d’États et de gouvernements de l’UA en 2014 vient comme un soutien au programme et établit d’ambitieux objectifs. Lesquels font au demeurant partie des Objectifs de Développement Durable (ODD), notamment les ODD 1 et 2 qui visent respectivement à éradiquer la pauvreté et la faim sous toutes ses formes, d’ici à 2030 que sont : atteindre la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et diminuer la pauvreté de moitié d’ici 2025. Cependant, de l’établissement de ces objectifs jusqu’à leur réalisation, on se rend compte à mi-parcours qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. En effet, les variations du taux de pauvreté, de la prévalence de la sous-alimentation et de la prévalence du retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans ne satisfont pas pour l’instant, les objectifs de la Déclaration de Malabo. Entre la mise en place du PDDAA en 2004 et 2017, le taux de pauvreté est passé de 41,84% à 35,78%, la prévalence du retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans, de 39,71% à 32,58% et la prévalence de la sous-alimentation quant à elle est passée de 20,97% à 17,97% (en 2015), renseignent les données ReSAKSS.

Dans le village de Musawa au Nigéria, un groupe d’enfants non scolarisés issus de familles défavorisées, posent devant la caméra. Crédit image : Monsieur Abidémi. Malgré cette situation, Debisi Araba reste optimiste et estime que ces objectifs sont toujours réalisables. « La Déclaration de Malabo a fixé pour objectif d’éliminer la pauvreté en Afrique d’ici à 2025 et nous pouvons le faire, avec de la détermination et la coordination », déclare l’expert. Un peu moins optimiste, Baba Bodian, agro-écologiste consultant en développement communautaire et président de l’association sénégalaise Bioforce-VB, tient pour sa part à rappeler que « l’Afrique a certes des défis ou priorités, mais les décideurs politiques doivent savoir que la sécurité alimentaire est la mère des priorités ».

Prioriser la sécurité alimentaire, revient à investir dans l’agriculture et à la développer. Et en la matière, la recommandation du PDDAA, reprise par la Déclaration de Malabo, est formelle : investir au moins 10% des dépenses publiques globales dans le secteur agricole, et en garantir l’efficacité et l’efficience. Baba Bodian fait savoir que garantir l’efficacité et l’efficience de cet investissement dans l’agriculture revient à bien l’utiliser et bien l’orienter, à l’endroit de toutes les étapes des chaînes de valeur agricoles, en insistant surtout sur la recherche. « C’est grâce à la recherche que de nouvelles variétés de cultures plus résilientes aux changements climatiques ainsi que de nouvelles technologies de mécanisation des chaînes de valeur agricoles, pourront être mises au point », ajoute l’agro-écologiste. En effet, « le taux de mécanisation des chaînes de valeur agricoles dans la plupart des pays africains est faible », fait savoir Debisi Araba, qui tient à rappeler toutefois que « la mécanisation ne rime pas uniquement avec l’utilisation des tracteurs dans les champs, mais elle englobe toutes les technologies mises à contribution tout au long de la chaîne de valeur agricole, du champ jusqu’à la vente du produit fini, en passant par la transformation ».

Par ailleurs, « la prise en compte du genre dans un projet qui vise à assurer de façon durable la sécurité alimentaire, est fondamentale ; sans quoi, le projet pourrait échouer », met en garde Mariame Maïga, spécialiste genre du Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricoles (CORAF). Elle explique en l’occurrence que « considérer la dimension genre renvoie à faire une analyse afin d’identifier les couches lésées et victimes des inégalités de genre et quels sont les besoins et les attentes de chaque membre de ces groupes défavorisés ». Par exemple, « si une variété de niébé ou une machine agricole est mise au point en laboratoire par des chercheurs, il faut qu’elle soit sensible au genre et que dans la pratique, elle cuise vite (pour la variété de niébé) ou qu’elle soit facilement utilisable par les femmes (pour la machine) ; cela augmentera le taux d’adoption de ces innovations par les femmes », illustre-t-elle. « La main d’œuvre agricole comporte 62% de femmes et 65% de jeunes » ; tels sont les chiffres avancés par l’experte qui, mentionnant les données de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (en anglais, Food and Agriculture Organization of the United Nations – FAO), s’est exprimée en marge d’une conférence organisée par le CORAF à Dakar en avril dernier.

Cependant, l’intéressée regrette qu’il se trouve que « jusqu’à ce jour, ces groupes de population ont un accès limité aux ressources de production agricole telles que les technologies et les innovations », alors que « selon la FAO, les conséquences relatives aux inégalités de genre sont telles que si nous agissons sur ces inégalités, on peut réduire le nombre de personnes souffrant de malnutrition de 100 à 150 millions », conclut-elle. Baba Bodian renchérit en ce qui le concerne, et est convaincu que « développer et mécaniser l’agriculture et garantir la sécurité alimentaire assurera sans nul doute le développement de l’Afrique ». Car, termine-t-il, « cela permettra en réalité de régler la majeure partie des défis du continent et d’atteindre même plusieurs autres ODD ».

La Rédaction (avec 24h et HMB)