Quand l’Afrique redessine les cartes du commerce international

[Africa Diligence] L’Afrique ne s’est jamais aussi bien sentie qu’aujourd’hui dans ses relations commerciales avec les autres continents, particulièrement avec le continent européen. En effet, en faveur de la mise en place de la ZLEC, de l’essor de la Chine en Afrique, du Brexit en Grande Bretagne etc., l’Afrique va renégocier l’accord de Cotonou établissant ses relations commerciales avec l’UE.

Le développement du commerce entre l’UE et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), surtout les pays africains, est au cœur de l’ambition de l’accord de Cotonou. Une volonté qui devait prendre vie avec les accords de partenariat économique régionaux (APE) avec l’UE.

Ce système n’a cependant pas marché comme prévu. Au total 8 % des exportations de l’UE et moins de 7 % des importations européennes arrivaient ou venaient d’Afrique en 2016.

Lents à négocier, les APE n’ont pas été un franc succès. Notamment car certains blocs régionaux d’Afrique estimaient que la Commission européenne les poussait à ouvrir l’accès à leur marché à des firmes européennes. Seul un APE a été ratifié, celui avec les six membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA).

Pas d’APE

Pour Carlos Lopes, nommé en juillet 2018 haut représentant pour l’Union africaine sur les négociations du nouvel accord de Cotonou, le bras-de-fer entre les pays africains et l’UE en matière de commerce a débuté.

« Il est évident que les APE ont été mal négociés et à part celui avec la CDAA, la plupart d’entre eux ne sont pas appliqués », a-t-il déclaré à Euractiv avant d’ajouter que les délais de conclusion des accords et de ratification des APE sont « artificiels » et servaient à « donner l’impression que ceux-ci sont le seul moyen d’accéder au marché européen ».

De nombreux pays africains peuvent déjà échanger sans taxes avec l’UE, en tant que « nations les moins favorisées », et se demandent donc ce que les APE peuvent leur apporter de plus.

Les responsables tanzaniens ont qualifié la proposition d’APE entre l’UE et la Communauté de l’Afrique de l’Est de « biaisée et abusive », et cette position est partagée par un certain nombre de gouvernements.

Lors d’une réunion du G20 à Berlin en juin 2018, la chancelière allemande Angela Merkel a appelé de ses vœux la réouverture de certains APE régionaux alors que son ministre du Développement, Gerd Muller voulait en juillet exempter toutes les importations européennes en provenance d’Afrique de droits de douane.

Dans le même temps, les pays africains redessinent les cartes du commerce international en faisant pression pour une zone de libre-échange continentale pour l’Afrique. Les dirigeants africains estiment qu’ils négocieront le successeur de Cotonou, et potentiellement, les APE, avec une position beaucoup plus forte.

Au total, 49 des 54 pays africains ont signé la zone de libre-échange et Carlos Lopes est confiant dans le fait que tous les pays, sauf l’Érythrée, qui poursuit une politique isolationniste, l’auront signé avant janvier 2019.

« Il y a une volonté politique en Afrique pour que la zone de libre-échange continentale soit le principal instrument pour faire du commerce avec l’Europe », souligne Carlos Lopes qui affirme que ce serait tout à fait dans l’intérêt de l’UE de faire cela. « L’Europe est le partenaire commercial numéro un, mais sa position s’est érodée. »

« Contrairement aux perceptions, l’Afrique n’est pas un petit partenaire commercial pour l’Europe. Nous sommes son troisième plus grand partenaire après les États-Unis et la Chine. L’Union africaine reconnaît que nous sommes plus forts lorsque nous négocions d’une seule et même voix. »

Pendant ce temps, la sortie imminente du Royaume-Uni de l’UE et la volonté affichée de négocier ses propres accords commerciaux avec les pays du Commonwealth augmentent les perspectives de fragmentation.

Pour l’instant, le Royaume-Uni n’est pas en mesure de proposer des négociations commerciales, mais a promis qu’il continuera à offrir un « accès exempt de droits et de quotas au marché britannique » pour les pays classés comme « les moins avancés », parallèlement à un « système de préférences commerciales unilatérales » qui pourrait potentiellement dépasser les APE.

Interdiction de Mitumba

Il n’y a pas que l’UE avec laquelle les pays africains s’affirment. En juillet, le Rwanda a été suspendu par les États-Unis de l’African Growth and Opportunity Act, une loi signée par George W. Bush en 2000, la même année que Cotonou. L’AGOA, qui offre un accès sans droits de douane au marché américain à environ 7 000 produits, est le projet de loi phare des États-Unis en matière de commerce avec l’Afrique depuis près de deux décennies.

En 2017, les six pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est ont cherché à imposer des droits de douane sur les vêtements et chaussures d’occasion importés, au motif qu’ils voulaient développer des marchés textiles intérieurs.

Une pétition de l’Association américaine des textiles recyclés et des matières secondaires adressée au représentant américain pour le commerce a conduit à un ultimatum américain aux six pays – supprimez l’interdiction dite de « mitumba » ou vous serez exclu de l’AGOA.

Le Kenya, qui est le plus grand négociant de la région avec les États-Unis et l’UE, a été le premier à baisser les tarifs douaniers. Le Rwanda, cependant, n’a pas bougé d’un cil et a accepté les conséquences : la fin de ses propres exportations de vêtements vers les États-Unis (3 % de ses exportations totales vers les États-Unis).

Le gouvernement rwandais estime en effet qu’il peut créer 25 000 emplois locaux en supprimant progressivement les importations de vêtements.

Alvin Mosioma, directeur exécutif de Tax Justice Network, Afrique, a déclaré à Euractiv que si la fiscalité n’était pas une question centrale dans le processus post-Cotonou, toute tentative de limiter le droit des pays d’imposer des tarifs douaniers devrait être combattue.

« Limiter la capacité des pays à imposer des droits de douane ou des taxes pour promouvoir leur propre fabrication est un énorme problème », a-t-il affirmé, soulignant que les taxes à l’importation représentent environ 11 % des recettes publiques à travers le continent.

Diviser pour mieux régner

La perspective d’offres commerciales concurrentes de l’UE – des États-Unis et du Royaume-Uni – sans parler des énormes activités économiques de la Chine en Afrique subsaharienne – pourrait encourager l’Afrique à adopter une approche « diviser pour mieux régner ».

Pas surprenant que l’UE mette en garde contre de telles tactiques. « Je ne suis pas sûr que monter les États-Unis, l’Europe et la Chine les uns contre les autres soit la meilleure option pour ces pays », a déclaré un responsable de la Commission.

La Rédaction (Benjamin Fox)

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