Chris Boukambou : l’expert Congolais milite pour une émergence intégrée de l’Afrique

[Africa Diligence] Originaire du Congo Brazzaville, Chris Boukambou Bemba est titulaire d’un Bachelor in Business administration de l’American Business School et de l’European University Paris, et d’un Master en intelligence économique de l’École de guerre économique de Paris. Ancien d’Extrapole et de Virgin Mégastores, il a rejoint Halliburton- Baroid au Congo, en 2007. On ne parlait pas d’émergence pour l’Afrique…

Après son Bachelor in Business administration en 1995, Chris Boukambou Bemba rentre au Congo et crée La nouvelle champignolle, un incroyable dispositif de culture de champignons sous serres qui sera détruit lors de la guerre civile de 1997. « De retour à Paris, se rappelle-t-il, je m’inscris en économétrie où s’ennuie après quelques cours. Fin 1999, tout en travaillant pour des enseignes culturelles Extrapole puis Virgin Mégastores, il créé Ebawa, un cabinet conseil en management dans l’Entertainment et le sport. Après son Master l’École de Guerre économique Paris, réoriente Ebawa vers le conseil en intelligence économique.

En 2007, Halliburton- Baroid frappe à sa porte. Le Congolais met alors son cabinet en veille et intègre le département d’ingénierie des fluides de forages et waste management du groupe en qualité d’ingénieur. En juillet 2012, il est promu Performance Development Coordinator-PDC (Performances, Compétences Développement et gestion de carrières) pour l’Afrique de l’Ouest et du centre. En mars 2014, on lui adjoint la fonction d’Opérations leader en charge de la pénétration du marché gabonais. Le jeune leader qui a accepté de répondre à nos est le PDC, pour l’Afrique centrale, de l’Est et de l’Ouest, d’Halliburton-Baroid depuis mai 2015.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Chris Boukambou : Aujourd’hui la question n’est plus si l’on y croit ou pas. L’Afrique est clairement la dernière frontière de la croissance mondiale. De ce fait, son émergence est une vérité qui s’impose à tous et bien au-delà des slogans. N’en déplaise aux caciques de l’Afrique à papa coincés dans les vieux schémas de dépendance coloniale et aux nostalgiques occidentaux du paternalisme d’hier et du tout-puissant Occident. Dans les 20-30 ans à venir nous serons près de deux milliards et demi, soit un humain sur quatre sera africain dont plus de 60% âgés de moins de 35 ans. Nous disposerons des plus importantes ressources naturelles, les plus convoitées aussi, sur le plus vaste et le moins densément peuplé des continents. Ainsi donc, « un nouveau monde vient », comme l’annonçait Jacques Attali. La seule question, en réalité, qui se pose est : qu’allons-nous faire en tant qu’Africains ? Serons-nous invités ou aux commandes de notre propre festin ?

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Le plus puissant est sans aucun doute l’intégration régionale. Il s’agit pour l’Afrique de repenser son modèle. L’Union Africaine s’est construite sur un postulat assez curieux. Le modèle est censé être celui de l’Union Européenne qui est basé sur une intégration économique. Cependant les étapes significatives, et même symboliques, ont toutes été dans le sens d’une intégration politique. Chemin faisant, cette dernière s’est vite heurtée à la nécessaire construction des États-Nations basés sur des frontières artificielles issues de la colonisation et conduit à créer des coquilles quasi vides, sans autorité ni légitimité, sur le terrain. Exemple type : la CEAC et d’autres organismes de même rang qui ont du mal à collecter les cotisations de leurs États membres… Merci à l’UE, à la Chine et aux USA de suppléer. Mais à quel prix ? Il Faut donc, sans conteste, travailler à l’intégration économique. L’approche la plus sereine et prometteuse est l’édification de pôles autour d’un ou deux champions régionaux. Un pôle en Afrique de l’ouest autour de Nigeria-Côte d’ivoire ; un pôle Afrique centrale autour de RD Congo-Angola ; un pôle en Afrique de l’Est autour d’un axe Éthiopie- Kenya-Tanzanie, un pôle en Afrique australe autour de l’Afrique du sud ; et un pôle en Afrique du nord sur l’axe Maroc-Algérie-Égypte.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Vaste question. N’étant pas un politicien je m’en tiendrais donc à certaines réalités géostratégiques. Chaque pays a son ADN propre et une identité que ses voisins définissent tout autant. Loin de tout nationalisme sourcilleux ou de quelque alter-mondialisme hystérique, la réflexion stratégique évidente veut depuis longtemps, pour ce qui est du Congo tout au moins, que son marché soit vu et vécu comme un territoire de transit et un acteur agricole. Jusqu’ici l’accent a été mis sur le renforcement de la base transit. Désormais, il faut mettre le paquet sur les ressources humaines qui font défaut, ou sont limités, notamment dans la formation dédiée.

En sus de cela, il faut remettre l’accent sur l’agriculture et la culture. Repenser le secteur agricole en terme stratégique et d’indépendance. L’on ne saurait émerger si l’on n’est pas capable d’autonomie alimentaire, si l’on importe tout. Pour ce qui est de la culture, partie intégrante de l’ADN de mon pays, il faudrait renforcer son identité à l’international. On ne va pas rappeler ici ce que le rayonnement et l’influence des USA doivent à la culture. C’est bien connu. Regardez l’urbanité actuelle sans le Hip Hop par exemple. La culture des rives du Congo c’est plus de cinq décennies d’influences à travers le continent ! Quelle réflexion y a-t-il derrière ? Cela doit évidemment être orchestré dans le cadre d’une réflexion et d’une doctrine de patriotisme économique gagnant-gagnant avec nos partenaires traditionnels et nouveaux.

Que pensez-vous de l’avènement du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique ? 

Le CAVIE est une nécessité car il répond au vide laissé par le manque de positionnement africain sur les enjeux stratégiques, à la fois aux plans théorique et opérationnel. La place de l’Afrique reste marginale dans l’économie de la connaissance. Nous ne générons pas assez savoirs et lorsqu’il en existe, l’Afrique ne met pas assez l’accent sur les initiatives propres au continent ou sur les acteurs Africains. La nature ayant horreur du vide, c’est donc les autres qui parlent à notre place. Le CAVIE va pallier à cet état de fait. Par le dynamisme affiché et le professionnalisme de ses membres, il va très vite devenir une voix prépondérante et un important incubateur pour l’émergence d’une pensée stratégique africaine propre et décomplexée.

Propos recueillis par la Rédaction

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