Konan Anderson Seny Kan : le jeune prof Ivoirien qui dissèque l’émergence de l’Afrique

[Africa Diligence] Konan Anderson Seny Kan est Docteur en Sciences de gestion, option Comptabilité, Contrôle de Gestion et Audit (CCA). Professeur permanent à Toulouse Business School, il publie dans de prestigieuses revues telles que la Harvard Business Review. Prix du « Meilleur évaluateur » de l’Association américaine de management en 2011, c’est un expert rigoureux qui entreprend ici de déchiffrer l’émergence de l’Afrique.

Ses enseignements portent sur la Comptabilité financière (en français), l’Analyse financière (en français et anglais), le Business plan (en français et anglais), les Méthodes de recherche en CCA (en français). Au titre de ses activités de recherche, Konan Anderson Seny Kan est membre du groupe de recherche interdisciplinaire Comptabilité, Contrôle de Gestion & Pilotage de la Performance. Ses travaux portent sur la Gouvernance d’entreprise des groupes multinationaux, la Gouvernance et RSE dans les organisations africaines (publiques, privées et ONG), le Management Africain et en termes méthodologiques sur l’Analyse Quali-Quantitative Comparée (AQQC). Il anime régulièrement un atelier méthodologique sur l’AQQC pour les doctorants du Centre de Recherche en Management de l’Université Toulouse 1 Capitole.

Les résultats de ses recherches donnent lieu à plusieurs communications dans des congrès internationaux. Il publie dans des revues à comité de lecture telles que : African Management Studies, Journal of Business Ethics, Journal of Business Research (à venir) et Society and Business Review (à venir). Il publie également dans des revues professionnelles comme Harvard Business Review. Il est membre du comité scientifique de la revue Journal of Innovation & Knowledge. Il est représentant de la Global Innovation and Knowledge Academy  en France.

En 2011, la division International Management de l’Academy of Management (AOM), l’Association américaine de management, lui a décerné le prix du meilleur évaluateur. Membre du comité scientifique de la Conférence Africaine de Management, Conférence annuelle de la Société Africaine de Management, il est également chargé de la stratégie et du développement de la société PG Trading. Co-fondateur de la Diplomatique d’Abidjan, c’est aussi un musicien, auteur de l’album « Opened Mind », paru en 2010, qui a accepté de répondre à nos questions.

Africa Diligence : Croyez-vous en l’émergence économique du continent africain ?

Konan Anderson Seny Kan : C’est une question relativement complexe que vous posez. Dans le fond, il y a des interrogations sous-jacentes dans votre question. Qu’est-ce que l’émergence économique ? Que recouvre cette notion qui est devenue un élément de langage que l’on retrouve dans tous les discours actuels sur l’Afrique ? Le mot « émergence » renvoie à quelque chose de totalement irruptive. Quelque chose de tellement soudaine qu’il peut paraitre impossible d’en comprendre les causalités. Et donc comment peut-on prévoir son occurrence ? Supposons même que l’émergence économique soit quelque chose de plausible, alors l’Afrique émergerait d’où et de quoi ? Je comprends bien que l’émergence économique renvoie à des seuils atteints par les indicateurs macroéconomiques. Même là aussi, il peut donc être intéressant de savoir qui fixe ces seuils. Est-ce que les finalités pour lesquelles ces seuils sont fixés sont en lien avec les préoccupations sociétales des populations africaines ? Cette émergence économique est décrétée par qui ? Bref ce que je veux dire c’est que je ne perçois pas très clairement le développement des sociétés qui résulte ou résulterait de cette émergence économique. Autrement dit, est-ce que l’émergence économique vaut un développement de la société ?  Il me semble qu’il y a quelque chose de complétement anachronique dans le débat sur l’économie de l’Afrique. Effet, les pays considérés comme les plus avancés économiquement dénoncent de plus en plus leur logique productive et son corollaire – la consommation de masse. C’est à croire même que les nombreuses alternatives productives et de consommation sont devenues de nouveaux crédos d’affaires ! L’Afrique semble donc emprunter un chemin que ceux-là même qui l’ont tracés semblent trainer des pieds pour l’emprunter. Il faut vraiment se poser des questions quand celui qui a tracé une voie semble s’en détourner. Pour être très honnête avec vous, mon Afrique rêvée n’est pas une Afrique qui émerge économiquement – ce n’est pas une finalité – mais une Afrique qui se transforme tout en consolidant ce qu’elle de riche dans son africanité. En mon sens c’est cette interrogation sous-jacente qui est essentielle dans l’effervescence et l’enthousiasme qu’il y a autour de la prétendue santé économique de l’Afrique.

S’il fallait vous aider à contribuer au développement rapide de l’Afrique, quels leviers pourrait-on activer ?

Je ne crois pas au développement rapide d’un ensemble formé de 54 entités ayant chacune une diversité de situations culturelles et institutionnelles. Mais jouant le jeu ! Entrons dans la logique de la question ! Je pense que quel que soit le rythme de développement envisagé, le préalable est la stabilité politique. Et quand j’évoque la stabilité politique, je ne fais aucunement allusion à la question des conflits armés. Ce n’est pas parce que je ne les condamne pas ou qu’ils ne sont pas à condamner. C’est tout simplement que l’angle de questionnement de ces conflits n’a jamais été le bon. Ces conflits sont une des multiples conséquences d’une cause fondamentale qui est la faiblesse institutionnelle des états africains.  Si nous parvenons à mettre en place des institutions crédibles, c’est-à-dire des institutions dont la légitimité est partagée et dont l’autorité peut être pourtant contestée dans un cadre de recherche permanente de consensus, alors nous aurons fait un pas de géant. Or très peu de pays africains ont ce courage. Les états africains font des mélanges des genres quelque peu surprenants. Là où il faut des refontes institutionnelles, ils proposent des réformes. Là où il faut des orientations stratégiques inédites, ils proposent de la continuité. Là où il faut des réflexions nouvelles, ils proposent des outils désuets à des problèmes récurrents qui sont devenus complexes à cause d’une inertie généralisée. La stabilité politique ne viendra que par la refonte institutionnelle qui prendra en compte l’authenticité de notre africanité. Je pense que d’une manière générale, nous nous renions dans toutes nos actions de modernisation. Un autre levier important est de parvenir à passer progressivement d’une société d’apprentissage de la connaissance du monde à une société apprenante et réflexive. Ce glissement est important pour rendre visible la créativité des populations et parvenir à porter un projet de société dans lequel les individus s’identifient avec conviction.

Si vous vous retrouviez à la tête de votre pays, dans les 24 heures, quelles seraient vos trois premières décisions ?

Je vais régulièrement en Côte d’Ivoire. Et je me rends de plus en plus compte que le travail à faire est titanesque. Toutefois, il me semble que rompre avec le dualisme institutionnel qui prévaut en Côte d’Ivoire peut être une première décision forte qui contribuerait à la stabilité politique. Cette contribution à la stabilité politique serait partielle mais serait toute de même une vraie avancée politique. Ce dualisme institutionnel est lié au fait qu’il existe une juridiction traditionnelle et une juridiction dite moderne. La coexistence de ces juridictions ne traduit pas nécessairement une cohabitation intelligente en raison du fait que leurs frontières respectivement ne sont pas tout à fait perceptibles. Au contraire cette coexistence entraine des remises en cause mutuelle des règles de vie en société.  L’exemple typique en Côte d’Ivoire, est celui du foncier ! Nous devrions peut être nous tourner un peu vers le Ghana pour comprendre le travail institutionnel d’envergure mené pour parvenir à cette stabilité politique. La deuxième décision pourrait être la refonte du système éducatif qui a non seulement perdu sa qualité d’antan, mais aussi et surtout sa reconnaissance internationale. Nous avons même réussi à décaler les années universitaires par rapport aux calendriers universitaires des autres pays. Ceci pose la question de la mobilité des étudiants et même des enseignants. La troisième et dernière décision serait   la mise en œuvre d’une véritable politique culturelle centrée sur la valorisation de notre africanité et de valeurs qu’elle incarne.

Propos recueillis par la Rédaction

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