IE: le triangle des puissances sur l’Afrique

Voici un condensé de trois points de vue pleins d’enseignements que nous avons recueillis le 28 février 2008 à l’Ecole Militaire de Paris lors du point de veille N°6 organisé par International Focus en partenariat avec l’association des auditeurs en intelligence économique de l’Institut français des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

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1. Le point de vue du Général (2s) Daniel Schaeffer – Ancien attaché de défense auprès des ambassades de France à Bangkok, Hanoi, Pékin, consultant senior International Focus

« Parce que, depuis quelques petites années, la Chine effectue un retour en puissance en Afrique, voici ce continent tout à coup placé au Centre du Monde. La Chine y est réapparue depuis peu parce que, en manque crucial de ressources énergétiques depuis 1993, de matières premières, mais aussi en quête de marché pour écouler sa proliférante production industrielle, elle a érigé l’Afrique en terre de conquête, même si elle se défend de tels desseins. Terre de conquête non seulement économique, partie la plus visible, mais aussi politique et stratégique, parce que la conquête économique est stratégique pour Pékin. A cause de cet activisme effervescent, l’empire du Milieu suscite du coup la suspicion des Etats-Unis sur le fond réel de ses intentions. Et elle perturbe gravement la donne européenne, notamment française, sur ce terrain pour lequel la tendance était parfois de le considérer comme un « pré carré« .

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L’Afrique est ainsi devenue un enjeu capital dans les stratégies de puissance qui s’exercent désormais chez elle entre la Chine, les États-Unis et l’Europe surtout, sans pour autant occulter l’intervention d’autres acteurs non négligeables comme l’Inde. Si chacune des parties concernées a bien pris conscience qu’un pan significatif de leurs intérêts stratégiques passe par un authentique développement du continent africain, l’Europe en premier parce qu’il est à sa porte, les schémas de confrontation qui se dessinent entre puissances sur l’ensemble de cette région sont pour beaucoup sous-tendus par des objectifs de conquête ou de défense d’intérêts économiques. Les stratégies élaborées et développées en ce sens par chacune des parties intéressées reposent en majeure partie sur la mise en œuvre de pratiques d’intelligence économique largement influencées par les cultures respectives des uns et des autres, celles de la Chine, celles des États-Unis, celles de l’Europe, celles des autres.

Pour ce qui concerne la Chine, si son action en ce domaine se caractérise de manière tout à fait classique par la recherche d’information, en faisant parfois bien fi des bonnes pratiques, il est indéniable que c’est au travers de l’exercice d’une vigoureuse stratégie d’influence, offensive, multiforme, plurisectorielle, multidimentionnelle, conduite méthodiquement, que la Chine parvient à prendre d’incontestables avantages concurrentiels en Afrique. « 

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2. Le point de vue de Bernard Besson -chargé de Mission auprès du Haut responsable français à l’intelligence économique

« Une politique nationale d’intelligence économique n’a de sens que si les acteurs publics et privés parlent la même langue. Les travaux entrepris par le haut Responsable ont aboutit à la formulation d’un corpus doctrinal obéissant à ce premier objectif. Il faut maintenant faire passer le référentiel de formation à l’intelligence économique dans l’entreprise et notamment dans les PME.

L’expérience montre qu’il n’est pas de meilleur pédagogue qu’un chef d’entreprise qui explique à d’autres chefs d’entreprises ce qu’il fait au quotidien dans tel ou tel domaine relevant de l’intelligence économique d’entreprise. C’est notamment sur ce socle de partage et d’échange de savoir-faire que le Haut Responsable entend faire passer les objectifs de l’intelligence économique à la française. N’étant pas le centre du monde, nous nous sommes inspirés des acquits d’autres cultures. C’est donc en regardant les autres que la France construit son chemin original vers une intelligence collective susceptible de favoriser l’innovation et la créativité. »

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3. Le point de vue de Jacques Van Minden -Président du Cercle franco-chinois, chef de mission expert à l’ONUDI

« Avec la progression de son taux de croissance, il est probable que la Chine deviendra un jour le leader mondial. A ce moment, qui osera encore parler de droits de l’Homme? Notre façon de penser (occidentale) n’est pas la leur. Pour les Chinois, l’individu n’est pas au centre des préoccupations, alors que notre vision (européenne) est individualiste. Les Chinois iront où ils ont décidé d’aller. Ils refusent de céder aux pressions extérieures. Pour ses besoins énergétiques, la Chine s’implante maintenant là où les puissances occidentales ont reculé. L’innovation technologique, dans la conception chinoise, n’a pas pour seul but la curiosité, mais doit permettre de rivaliser avec les puissances. Il existe néanmoins des points faibles. La question sociale est le principal danger. La cohabitation interne entre riches et pauvres crée déjà d’énormes tensions dans la « Chine profonde« , mais également dans les grandes villes où les « migrants » sont considérés comme des étrangers. N’oublions pas que, historiquement, lorsque la Chine vivait dans l’opulence, il y eut des révoltes telles que celles des Boxers qui précipita la chute de l’empire Qing au XIXè siècle. »