Pourquoi et comment la Chine veut améliorer son image en Afrique

[Africa Diligence] La Chine n’a cessé d’accroître sa présence en Afrique au point de prendre la première place de ses partenaires. Une situation enviable qui ne va sans inquiéter les investisseurs occidentaux. Face aux attaques, Pékin travaille à l’amélioration de son image de marque auprès des Africains. Décryptage

Cela fait maintenant trois ans que la Chine est en tête des partenaires commerciaux du continent africain. Elle a remplacé la France et les Etats-Unis et a vu le montant de ses échanges commerciaux s’élever, entre 2010 et 2011, à 166 milliards de dollars.

Par ailleurs, lors du dernier forum de coopération Chine-Afrique qui s’est tenu à Pékin en juillet dernier, le président chinois Hu Jintao annonçait qu’il doublerait ses crédits alloués à l’Afrique pour les trois années à venir, ce qui équivaut à 20 milliards de dollars.

Toutefois, ce ne sont pas les annonces sur les investissements chinois en Afrique ou encore celles sur l’aide officielle chinoise qui attirent l’attention mais bel et bien les achats chinois à l’Afrique. La demande de matières premières, nécessaires à la Chine, est toujours aussi forte. De ce fait, 80% des achats chinois à l’Afrique se portent, dans l’ordre, sur le pétrole brut, le minerai de fer, le manganèse et le cuivre. On peut également y ajouter, dans des proportions importantes, le bois et le cobalt.

En échange, la Chine a été un vrai moteur pour la construction d’infrastructures (constructions de routes, d’hôpitaux et autres bâtiments ou encore des remises à niveau de lignes ferroviaires) ainsi que pour des projets pétroliers – notamment au Niger – jugés insuffisamment rentables par les entreprises occidentales.

Les investissements dans le secteur bancaire se sont également intensifiés. Aujourd’hui, les banques nationales chinoises poussent comme des champignons d’autant plus que les contrats conclus par la Chine dans le continent impliquent des capitaux de plus en plus massifs.

La Chine a aussi contribué à former 40 000 Africains. Fin 2011, pas moins de 2 000 entreprises chinoises étaient installées sur le continent et 29 Instituts Confucius sont aujourd’hui présents dans une vingtaine de pays. Lors du dernier forum Chine-Afrique, le chef de l’Etat chinois s’est engagé à envoyer 1 500 personnels médicaux sur le continent et à attribuer des bourses à 18 000 étudiants – un partenariat que le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a qualifié comme étant « l’un des meilleurs exemples de réussite de la coopération Sud-Sud ».

Le président sud-africain Jacob Zuma a tout de même prévenu qu’il ne fallait pas retomber dans les anciens schémas avec une Afrique vue comme un simple marché de consommateurs et pourvoyeuse de matières premières. « L’Afrique » a-t-il expliqué « a montré qu’elle contribue au développement de la Chine en lui fournissant des matières premières et en procédant à des transferts de technologie. Ce modèle n’est pas soutenable à long terme » a-t-il conclu en appelant à un partage équilibré des échanges commerciaux.

Les Africains exaspérés

L’Afrique du Sud et l’Angola sont les deux pays africains que génèrent la moitié des échanges avec la Chine. Viennent ensuite le Soudan, le Nigeria et la Zambie, entre autres.

Depuis la fin de la guerre civile, en 2002, l’Angola a ainsi connu une croissance phénoménale grâce à ses réserves de pétrole et aux investissements chinois. Peu après le cessez-le-feu, Luanda a signé un accord avec la Chine pour reconstruire le pays. Depuis, les lignes de crédit à l’Angola ont dépassé les 25 milliards de dollars. En échange, les Chinois ont obtenu un paiement en pétrole et en gaz naturel ainsi qu’un accès aux marchés angolais, en plein développement. En dix ans, les Chinois eux-mêmes sont arrivés dans le pays par milliers pour y travailler. Officiellement, ils seraient aujourd’hui 70 000 mais de source officieuse, ils seraient beaucoup plus nombreux.

Comme partout ailleurs, en Afrique, la Chine tient à exporter sa main-d’œuvre plutôt que d’embaucher sur place. Avec des tarifs, en moyenne 30% moins chers, les Chinois défient toute concurrence, aussi bien africaine qu’étrangère. Ainsi, des charters entiers acheminent, jusqu’au dernier ouvrier, du fond de la Chine. Le nombre de Chinois en Afrique fait l’objet d’estimations contradictoires mais ils seraient aujourd’hui entre 500 000 et 800 000. Cette répugnance des Chinois à engager des travailleurs locaux provoque la colère des Africains et toutes sortes de tensions.

Lorsqu’il arrive qu’ils emploient des travailleurs locaux, ce sont alors d’autres plaintes qui surgissent : ces derniers ne sont pas assez payés (non-respect des salaires minimums), voire pas du tout. Les conditions de sécurité ne sont pas non plus respectées. Le meurtre du directeur chinois d’une mine de cuivre, en Zambie, le 4 août dernier, illustre cruellement les risques qui accompagnent la croissance spectaculaire de l’investissement chinois en Afrique. Un an auparavant, dans cette même mine de Collum, les cadres chinois avaient réagi aux revendications des mineurs en leur tirant dessus à balles réelles, blessant douze d’entre eux.

Autre constat : les produits chinois inondent les marchés, divisant systématiquement les prix par deux et parfois même par trois. Incapables de rivaliser, les commerces africains sont contraints de fermer.

Et puis, la corruption y est également dénoncée. Etabli par Transparency International, le classement international des plus grands corrupteurs (pays dont les entreprises versent le plus de dessous-de-table lorsqu’elles opèrent hors de leurs frontières) classe la Chine en tête de liste. Les Africains réalisent que leurs propres gouvernements ont leur part de responsabilité. Le travail est rarement conforme aux normes de construction et souvent bâclé : des bâtiments entiers montrent des signes d’usure quelques mois seulement après avoir été construits et les histoires de routes neuves endommagées par la pluie et désormais impraticables n’étonnent plus personne.

La Chine de plus en plus soucieuse de préserver son image sur le plan international

La Chine a conscience que la durabilité de sa présence en Afrique ne pourra être assurée que par l’amélioration des conditions de ses implantations. Les entreprises chinoises font désormais l’objet d’accusations qui pourraient nuire de façon considérable à leurs objectifs dans la région – et dans le monde – si elles s’obstinent à ne pas modifier rapidement leur comportement. Elles sont donc désormais incitées, par les autorités, à s’engager en matière de responsabilité sociale et ce, pour éviter les manifestations antichinoises et dissuader les enlèvements de Chinois en Afrique.

D’autres actes de l’Etat chinois vont dans le même sens, comme la participation à la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe d’Aden ou les pressions exercées par la Chine sur le régime d’Omar el-Béchir au Soudan.

Par ailleurs, les entreprises chinoises s’associent de plus en plus à un partenaire occidental. La tendance actuelle est, pour ces entreprises chinoises –d’Etat ou privées – de découvrir les vertus du management moderne « normal » en s’appuyant sur des entreprises occidentales solides.

Autre signe de l’évolution, les entreprises chinoises en Afrique font également le ménage – c’est tout récent – dans leurs pratiques opaques ou douteuses. La commission chinoise des actifs d’Etat (Sasac) exige maintenant qu’elles publient un rapport précis de leurs actions. La Chine serait ainsi en train de devenir un acteur comme les autres du développement africain.

« La France n’a pas à avoir peur des Chinois »

Les partenaires de l’Afrique dits « traditionnels » comme les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et le Japon perdent des parts de marché au profit des pays que l’on qualifie d’émergents, bien que certains aient déjà émergé comme la Chine et l’Inde. Avec eux, la Corée du Sud et le Brésil sont parmi les acteurs les plus investis sur le continent. La Turquie y est également de plus en plus présente, de même que l’Iran, le Qatar et Dubaï.

Les Etats-Unis, qui ont perdu en 2009 leur place de premier partenaire économique de l’Afrique au profit de la superpuissance asiatique, tentent de restaurer leur puissance et de concurrencer la Chine. C’était l’objectif de la longue tournée africaine – onze jours et sept pays – de la secrétaire d’Etat américaine. Dès son arrivée à Dakar, le 1er août 2012, Hillary Clinton avait affirmé que Washington souhaitait des « partenariats qui ajoutent des valeurs et non qui se contentent de les extraire » et ajouté que « les Etats-Unis défendront la démocratie et les droits de l’homme universels, même lorsqu’il peut paraître plus facile ou plus rentable de détourner la tête et de continuer à exploiter les ressources. Tout le monde n’a pas cette ligne de conduite. Nous si », avait-elle conclu.

Pékin, se sentant visé, a qualifié, par le biais de l’agence Xinhua, le voyage de Hillary Cinton d’être « un complot pour semer la discorde entre la Chine et l’Afrique ».

Grâce à ses investissements massifs – en Afrique mais aussi en Europe où elle soutient l’euro en pleine tempête – la Chine est devenue, par conséquent, un interlocuteur incontournable des Etats africains. Dans ces circonstances, la France peut-elle rivaliser avec la Chine ?

Dans une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique, fin septembre 2012, le ministre français de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici a rappelé que la France est encore le deuxième exportateur vers l’Afrique sub-saharienne, derrière la Chine mais devant les Etats-Unis et l’Allemagne. Et la France demeure le quatrième importateur derrière les Etats-Unis, la Chine et l’Italie.

« Ce n’est pas si mal. En même temps, il ne faut pas s’en contenter » fait observer le ministre de l’Economie et des Finances qui veut réorienter le partenariat entre la France et l’Afrique « en aidant les entreprises françaises à mieux appréhender le risque qu’elles tendent à surévaluer et à aller de l’avant, en donnant une priorité au secteur de l’énergie où nous avons une grande expertise » a précisé Pierre Moscovici. « Nous n’avons pas à avoir peur des Chinois » a-t-il ajouté.

Par ailleurs, Pierre Moscovici a également insisté sur le fait qu’il comptait lancer une initiative pour des contrats équitables. « Il faut renforcer les capacités juridiques des Etats africains pour qu’ils puissent mieux négocier leurs contrats, en particulier dans le domaine de l’exploitation de leurs matières premières » a-t-il expliqué.

(Avec Ursula SOARES)